
Dès mon plus jeune âge j'ai appris à bricoler en bricolant et à faire de la voile en navigant avec toutes sortes d'engins flottants. J'ai surtout navigué sur les bateaux des autres tout en rêvant qu'un jour peut-être j'en aurais un grand à moi. Mais, le prix des voiliers, même d'occasion... Alors en 1972 j'ai décidé de construire MON bateau. Après avoir hésité entre le ferro-ciment et l'acier (2 matériaux beaucoup moins chers et plus agréables à travailler que la résine armée) j'ai opté pour l'acier. Depuis j'ai construit bien d'autres choses, mais cela fut et restera certainement mon plus gros chantier : un ketch-côtre de 14 mètres. 6000 heures de boulot : dessin, découpe au chalumeau, perçage, meulage, forgeage, soudure, peinture, menuiserie, électricité, couture… En fait, lors du premier voyage le bateau n’était pas fini, mais j’avais passé 4000 heures (oui, tant que ça) en 21 mois (oui, seulement) tout en assurant en complément mon activité salariée (environ 50h par semaine) car il ne suffit pas d'aligner des heures pour faire un bateau. Il faut aussi acheter des matériaux. Donc pendant ces 21 mois les périodes de sommeil furent courtes.
La première anecdote concernant ce bateau est qu’après en avoir dessiné les formes je suis tombé par hasard sur un article d’une revue nautique qui présentait un voilier avec des lignes d'eau semblables à celles de mon dessin. Me connaissant (Trop fort n’a jamais manqué !) je me suis dit que je gagnerais du temps et surtout du poids en m’inspirant des plans de construction de ce bateau (nombre de couples, épaisseur des tôles…). Coup de téléphone au cabinet d’architecture navale qui vendait les plans.
Combien coûte le jeu de plans… ?
Est-ce que vous faites partie de l’ACA ? Si oui, c’est 2000F, si non c’est 3000F
C’est quoi l’ACA ?
L’Association des Constructeurs Amateurs.
Et quels sont les critères pour en faire partie ?
Il faut payer l’adhésion qui pour cette année est de 40F.
Mon calcul est vite fait. 2000+40=2040 < 3000.
OK, je prends ma carte d’adhérent.
Puis je me suis lancé et j'ai fait le bateau que j'avais envie de faire (à ce moment là. Aujourd'hui ce serait différent mais je ne regrette rien). Résultat : un bateau confortable (même si les 3 meilleures places sont occupées par le moteur, le réservoir de GO et celui d’eau) car un peu lourd. Pendant la construction et plus tard lors de l’utilisation, des anecdotes il y en a eu des tonnes. On en reparlera peut-être. Mais venons-en à la construction ! D'abord une vue de dessus pour donner une idée des aménagements. Ensuite, c'est comme pour faire une maquette : construction à l'envers. Pour cela il faut un plan de travail ; en l'occurrence un marbre sur lequel reposeront provisoirement les couples. Je l'ai réalisé avec des UPN de récupération (rendus à leur propriétaire à la fin du chantier). L'assemblage des UPN de 140 permet de débuter en soudage avec des baguettes basiques. Pas évident de souder à la basique ! Mais à ce stade on peut meuler, souder à nouveau, re-meuler...et donc se faire la main. Là, je voulais glisser une photo du marbre. J'ai fouillé dans ce qui me reste de photos argentiques. Pas de photo du marbre, mais j'ai scanné des photos pour illustrer la suite. Pour le marbre il faudra vous contenter d'un dessin. Marbre d'environ 4mx11m reposant sur des bouts de ferraille pris dans des plots en béton après réglage de niveau. Pas plus d'un mm de dénivelé. Niveau fait avec deux fioles reliées par un flexible. Il y a 40 ans on ne trouvait pas de niveau laser à la quincaillerie du coin...
Puis, toujours comme pour une maquette on fait des couples, mais là on ne les taille pas dans la masse, excepté la petite cloison d'abordage et la grande cloison qui sépare le carré du coffre arrière qui, elles, sont faites en tôle. On réalise les couples par assemblage de morceaux de fers plats, et on cintre les barrots par martelage. Puis on dispose les couples sur le marbre et on les maintient en place avec des bouts de ferraille provisoires. Et on les relie définitivement entre eux par le fer de quille et par des lisses (fers longitudinaux sur lesquels seront soudées les tôles de bordé). Viennent ensuite les tôles pour le cockpit, le pont (*voir nota 1) et le bordé. Découpe, pose et pointage.
Pour manutentionner les tôles (en moyenne 4mx0,8mx4mm=100kg) j'utilisais deux palans (de grand-voile de dériveur) crochés dans la charpente du hangar ou à des potences de fortune. Là c'était spectaculaire. Chaque jour je voyais le bateau prendre forme...
*Nota 1. J'ai choisi de construire la majeure partie du pont à l'envers. Je crois que j'ai innové. Cela m'a obligé à soulever les tôles avec des crics, des cales, des serre-joints, des canapes (*voir nota 2)... pour les cintrer afin qu'elles accostent les barrots et les lisses. D'une part la manutention (j'étais seul) a été assez facile à quelques décimètres d'un sol bétonné. D'autre part, cela m'a permis de souder à plat plutôt qu'au plafond.
*Nota 2 concernant le vocabulaire. Si vous ne connaissez pas certains termes un dictionnaire ou internet vous les expliquera, mais il ne doit pas être facile de trouver canape. Rien à voir avec canapé ! Canape : nom féminin qui désigne un outil très simple en forme de L à bords larges découpé dans une tôle épaisse. Lorsqu'on veut rapprocher par exemple une tôle de bordé d'une lisse pour les souder entre elles, on soude l'extrémité d'une branche du L de la canape sur la tôle et on insère à coups de marteau un coin entre l'autre branche du L et la lisse. Puis, une fois la soudure du bordé sur la lisse terminée on donne un coup de chalumeau et de meule pour supprimer la canape.
J'ai beau remanier ce texte je crains que ce ne soit pas clair. Alors, un bon croquis (ou même un mauvais fait par votre serviteur) valant mieux qu'un long discours... Quasiment toutes les tôles étant positionnées et pointées, j'ai abordé la phase la plus pénible pour le moral. 500h de soudure. 500h déprimantes. Rien ne semblait progresser...à part la rouille.
La quille ayant été mise en place (le bateau toujours à l'envers) j'ai entendu des commentaires du genre « Vous faites un sous-marin ? ». Il est vrai que pour un néophyte ça ne ressemblait pas à un voilier.
Une fois les soudures finies il a fallu retourner le bateau...mais le nombre de photos par post étant je crois limité à 6, ce sera pour une autre fois.